Pourquoi « queen » ne veut plus dire reine sur Internet

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Dans l’univers numérique en constante mutation, les mots voyagent, mutent, s’adaptent — parfois jusqu’à perdre tout lien avec leur origine. C’est précisément ce qui est arrivé au mot « queen », dont le sens royal a été radicalement détourné sur les réseaux sociaux pour devenir un emblème de reconnaissance, d’admiration et d’affirmation de soi.

Autrefois réservé à l’évocation solennelle d’Elizabeth II ou de Marie-Antoinette, « queen » est désormais l’un des termes les plus utilisés sur TikTok, Instagram ou X (ex-Twitter) pour qualifier une personne — souvent une femme — qui inspire, impressionne ou brille d’une manière ou d’une autre. Une amie qui surmonte une épreuve avec panache ? Une chanteuse dont le look et l’attitude dominent la scène ? Une collègue qui s’impose avec élégance dans un environnement hostile ? « Queen », tout simplement.

Ce glissement sémantique n’est pas anodin. Il est né dans les marges, dans les communautés LGBTQ+, en particulier à travers la culture drag. À l’origine, le mot désignait de façon moqueuse certains hommes homosexuels efféminés — les fameuses « drag queens » — avant d’être réapproprié avec fierté comme symbole de flamboyance, d’audace, de liberté. Des figures comme RuPaul et son émission Drag Race ont largement contribué à diffuser cette nouvelle acception du mot. Dans cette logique, « queen » devient un titre d’honneur, une couronne imaginaire offerte à celles et ceux qui imposent leur style, leur puissance ou leur authenticité.

Mais comme souvent, ce langage issu des cultures alternatives a été absorbé par la culture mainstream. Le mot a perdu une partie de sa radicalité pour devenir un compliment courant, souvent lancé avec affection entre amis, ou parfois avec une pointe d’ironie. « Slay queen », « yas queen » — ces expressions, devenues virales, disent autant l’enthousiasme que l’exagération stylistique propre à l’ère des stories et des filtres.

Toutefois, cette banalisation suscite aussi des réserves. Certains observateurs dénoncent l’usage superficiel et parfois condescendant du terme, notamment lorsqu’il est utilisé sans connaissance de ses racines profondes. Une journaliste du média The Varsity, Milena Pappalardo, a même évoqué le risque de « réduire les femmes à une figure idéalisée, presque caricaturale », comparable à une formule flatteuse qu’on adresserait sans sincérité dans les toilettes d’un club.

À l’instar de nombreux mots passés du champ sémantique noble à celui de la pop culture, « queen » n’échappe pas aux contradictions de son époque : entre empowerment réel et recyclage marketing, entre célébration et récupération. Pourtant, son succès témoigne d’une chose essentielle : sur Internet, régner ne passe plus forcément par la lignée ou la couronne, mais par le charisme, l’authenticité… ou un simple bon mot bien placé.

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