La Chine exige des diplômes aux influenceurs pour parler de sujets sensibles en ligne

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La Chine vient d’esquisser une nouvelle frontière numérique. Dans un pays où chaque pixel est déjà sous haute surveillance, Pékin étend désormais son contrôle sur la parole des créateurs de contenu. Les influenceurs qui souhaitent traiter de médecine, de droit, de finance, d’éducation ou d’autres domaines sensibles devront prouver qu’ils en connaissent réellement les règles et les enjeux. Diplômes, certifications, licences professionnelles : la compétence devient un laissez-passer obligatoire.

Cette réforme s’inscrit dans la vaste campagne Qinglang – « Clair et Brillant » –, lancée pour assainir l’écosystème en ligne. Les autorités chinoises affirment vouloir éliminer les « faux experts » amplifiés par les algorithmes et le marketing de la crédibilité. Pour cela, les plateformes – Douyin, Kuaishou, Bilibili – doivent vérifier, archiver et parfois authentifier ces qualifications à l’aide d’outils d’intelligence artificielle. La mission est claire : empêcher qu’une parole ignorante, mensongère ou politiquement dangereuse ne s’impose comme vérité.

La mesure repose sur un socle légal déjà bien établi. Depuis la loi chinoise sur la cybersécurité, la notion de « sécurité nationale » englobe la protection de l’espace informationnel du pays. Désormais, parler de santé ou de justice sans crédibilité reconnue équivaut à mettre en péril la stabilité du discours public. Les contrevenants s’exposent à des amendes pouvant atteindre 100 000 yuans, voire à la suppression pure et simple de leur présence en ligne. Rien que pour l’année 2024, plusieurs millions de contenus ont déjà été retirés pour non-conformité.

La Chine justifie cette mainmise par une réalité qui dépasse ses frontières : les réseaux sociaux ont transformé l’ignorance en influence, et le savoir en spectacle. Lorsqu’un conseil médical inexact devient viral, ce n’est plus une simple erreur : c’est une menace. La désinformation peut tuer, ruiner, manipuler. Sur ce point, difficile de nier l’enjeu : l’humanité se retrouve face à une équation inédite, où le partage du savoir ne dépend plus d’universités, mais d’algorithmes qui guettent les émotions fortes et les titres accrocheurs.

Les défenseurs de la régulation chinoise y voient un rempart contre la « démocratie des apparences », où le succès tient davantage au nombre d’abonnés qu’à la profondeur des connaissances. Les sceptiques, eux, redoutent que la lutte contre l’incompétence serve de prétexte à filtrer les opinions, à museler les voix trop libres, à substituer au débat une parole unique : celle du pouvoir. Car si l’intention est noble, la frontière entre protection intellectuelle et contrôle idéologique reste terriblement fine.

Cette décision chinoise résonne bien au-delà de ses frontières. Elle interroge chaque pays où les réseaux sociaux façonnent désormais la perception du monde. Elle pose une question qui met mal à l’aise : qui doit décider de qui a le droit de parler ? Une institution publique ? Une plateforme privée ? Une AI chargée de déterminer qui est crédible et qui ne l’est pas ? L’histoire montre combien la vérité devient fragile lorsque son accès dépend du bon vouloir d’un seul arbitre.

Il serait trop simple de se réfugier dans une opposition caricaturale : d’un côté la liberté totale, de l’autre la censure absolue. La réalité mondiale est plus trouble. Les sociétés doivent aujourd’hui inventer de nouveaux mécanismes pour distinguer le savoir du simple bruit. La Chine a fait son choix, radical et vertical. Reste à savoir si ce modèle, qui prétend éclairer l’esprit public, ne finira pas par assombrir la part essentielle du numérique : sa capacité à faire émerger des idées libres, imprévues, indomptables.

La bataille de la connaissance ne fait que commencer. Elle décidera peut-être de ce que sera Internet : une agora ouverte aux vérités multiples, ou un espace balisé où seuls les détenteurs d’un certificat auront le droit d’enseigner au monde ce qu’il doit penser.

Source d’information : Département du Cyberespace de Chine (CAC), annonces 2024–2025.

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