Quand le plaisir devient contrabandé : l’AGD rappelle l’interdiction des sextoys en Haïti

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Il existe aujourd’hui un monde du design intime qui n’a plus grand-chose à voir avec les clichés d’objets kitsch, dissimulés au fond d’une armoire. Dans plusieurs pays, l’industrie du sextoy s’est transformée en un véritable laboratoire technologique. Designers, ingénieurs, ergonomistes, sexologues et artistes collaborent pour concevoir des objets raffinés, connectés, réalisés en matériaux médicaux, parfois pilotés via smartphone ou synchronisés avec la réalité virtuelle. C’est ce qu’a documenté Margaret Rhodes dans un article publié par Wired, relatant une véritable révolution créative et technologique au sein de ce secteur. L’image du « gadget » est remplacée par celle d’un accessoire pensé pour le bien-être, la connaissance du corps et l’exploration du plaisir comme dimension personnelle légitime.

Historiquement, ces objets ont toujours existé sous des formes plus ou moins artisanales. Des récits anciens évoquent un dispositif imaginé par Cléopâtre, un calebasse rempli d’abeilles vibrantes ; en Chine, des modèles sculptés dans le bois ou la pierre étaient déjà répandus. Plus tard, au XIXᵉ siècle, le premier vibromasseur électrique a été utilisé dans le milieu médical pour traiter la fameuse « hystérie féminine ». Ces anecdotes révèlent un point : la technologie du plaisir a toujours évolué avec les connaissances et les outils de son époque. Le changement actuel n’est donc pas une rupture, mais une continuation, à la différence près que l’objet intime est désormais associé à la santé sexuelle, à l’autonomie et à la compréhension du corps.

Cependant, alors que ce marché se développe à l’échelle mondiale, Haïti suit une toute autre trajectoire. Lors d’une récente séance publique intitulée « Causerie avec la douane », l’Administration générale des douanes (AGD) a rappelé l’interdiction d’entrée de sextoys sur le territoire national. L’institution s’appuie sur les articles 42 et 304 du Code des douanes, qui prohibent les produits jugés contraires aux « bonnes mœurs ». Sont concernés les faux pénis, les objets vibrants et tout dispositif assimilé. Cette disposition existe depuis longtemps, mais c’est son rappel public qui relance le débat.

Ce rappel surprend, car un petit marché informel s’était déjà développé dans les grandes villes. Des jeunes commerçants importaient ces produits discrètement, souvent via les États-Unis ou la République Dominicaine. « Ça se vend très bien. Des clientes mariées, des étudiantes, des couples… tout le monde », confie un vendeur interrogé sous anonymat. Cette réalité suggère que la consommation existe, qu’elle est silencieuse, et qu’elle ne correspond pas forcément à l’image que la société se fait d’elle-même.

La décision de l’AGD ouvre ainsi une question culturelle plus large : comment une société gère-t-elle ce qui touche à l’intimité, au plaisir et au contrôle moral ? La frontière entre loi, morale publique, santé sexuelle, hypocrisie sociale et autonomie personnelle reste floue. Certains y verront une défense des valeurs traditionnelles. D’autres y verront une interdiction qui ne reflète ni les usages réels, ni les évolutions culturelles de la jeunesse, ni la diversité des pratiques privées.

Mais l’annonce de l’AGD ne se limitait pas à la question des sextoys. L’institution a également communiqué des informations économiques et sécuritaires majeures. Elle a déclaré avoir dépassé les 12 milliards de gourdes de recettes en octobre, avec une reprise notable des activités au poste frontalier de Malpasse. Elle a aussi présenté les résultats d’une opération de saisie : radios de communication, drones, uniformes militaires et documents identitaires. Quatre personnes ont été arrêtées.

Le rappel sur l’interdiction des sextoys se situe donc dans un contexte plus vaste : celui du contrôle, de la régulation et de la sécurité du territoire. Reste que la dimension intime de l’objet interdit lui confère une portée symbolique particulière. Il touche non seulement au commerce, mais à la perception que la société haïtienne se fait du corps, de la liberté individuelle et du plaisir.

À une époque où l’innovation transforme les objets du quotidien, où l’art et la science investissent même les aspects les plus personnels de l’existence, la question n’est peut-être pas seulement de savoir ce qui est permis ou non. Elle est aussi de comprendre ce que notre rapport au plaisir dit de nous, de nos contradictions et de notre imaginaire collectif.

Source :

Wired, Margaret Rhodes, 2016.

« Causerie avec la douane », AGD, octobre 2025.

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