Haïti : où sont les projets ? Où est la vision ?

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Il est un paradoxe haïtien que l’on n’ose plus regarder en face : nous comptons parmi les nations les plus pauvres du monde, et pourtant nous figurons parmi celles qui possèdent le plus grand nombre de partis politiques. Plus de deux cents organisations officiellement enregistrées prétendent conduire ce pays vers un avenir meilleur. Deux cents étiquettes. Deux cents sigles. Deux cents illusions. Mais, en vérité, pas deux cents projets.

Haïti ne souffre pas d’un manque de prétendant(e)s au pouvoir.

Haïti souffre d’un manque de vision pour l’exercer.

Chaque parti naît d’une ambition personnelle, rarement d’une ambition nationale. Chacun revendique le pouvoir comme un bien à posséder, non comme une responsabilité sacrée. L’espace politique est devenu un marché de micro-formations, chacune défendant un drapeau privé, un clan réduit, une clientèle limitée. La fragmentation est telle que l’idée même d’un projet collectif en devient presque impossible.

Et pendant que les sigles se multiplient, le pays se désagrège.

Nous ne votons plus sur la base d’idées. Nous votons sur la base de relations, de rumeurs, de déceptions accumulées. Nous cherchons une figure rassurante, un visage charismatique, une parole forte — mais nous ne demandons jamais : « Que proposes-tu pour le pays ? Comment ? Quand ? Avec quel argent ? Avec quels résultats mesurables ? » Nous confions notre avenir non pas à une direction, mais à une improvisation.

Notre histoire, pourtant, commence avec un projet d’une audace inouïe : affirmer la dignité humaine contre l’ordre du monde, fonder un État de liberté pour celles et ceux qui n’en avaient jamais eu. Cette ambition n’a pas été portée par une multitude de factions, mais par une génération unie dans un objectif monumental : se libérer et bâtir.

Aujourd’hui, ce qui manque n’est pas la force du peuple — elle est intacte. Ce qui manque n’est pas l’intelligence nationale — elle est bien vivante. Ce qui manque, c’est un cadrage, une architecture politique durable, une continuité dans l’action. Ce qui manque, c’est un système où la République ne recommence pas à chaque présidence, où les chantiers ne meurent pas avec les mandats, où l’État n’est pas le jouet des egos.

L’insécurité ne disparaîtra pas avec un discours martial.

La pauvreté ne reculera pas avec une promesse enflammée.

L’économie ne renaîtra pas avec une tournée médiatique.

Le développement n’a rien de magique : il se planifie, il se structure, il se garantit.

Haïti ne peut plus accepter que le pouvoir devienne une expérience personnelle. Ceux et celles qui aspirent à diriger doivent être capables de démontrer — avant même de gouverner — qu’ils et elles maîtrisent l’art de bâtir un État stable, productif, éduqué, sécurisé.

Il est urgent de changer la culture du vote. Ce n’est pas à une personne de séduire la Nation.

C’est à celle qui demande le pouvoir de mériter la Nation.

Nous devons refuser les candidatures sans programme.

Nous devons humilier politiquement l’improvisation.

Nous devons exiger des plans écrits, chiffrés, continuables au-delà d’un mandat.

Ce pays n’a pas besoin de deux cents prétendants à la présidence.

Ce pays a besoin de quelques architectes de l’avenir.

Le salut national ne viendra pas d’une multiplication des voix, mais d’une concentration de l’effort. Nous devons enfin comprendre que la politique n’est pas un spectacle, mais une œuvre. Une œuvre dont le seul juge, c’est l’Histoire.

Haïti ne réclame pas un nom.

Haïti réclame une direction.

Haïti réclame une vision durable.

Haïti réclame une œuvre collective qui survive aux ambitions individuelles.

Le jour où nous comprendrons cela,

Haïti cessera de chercher un sauveur

et commencera à construire une Nation.

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